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Cinq Semaines En Ballon Page 14


  —Voici, Dick: tu admets bien que si je parviens jusqu'au prisonnier, et que je jette une quantite de lest egale a son poids, je n'ai rien change a l'equilibre du ballon; mais alors, si je veux obtenir une ascension rapide pour echapper a cette tribu de negres, il me put employer des moyens plus energiques que le chalumeau; or, en precipitant cet excedant de lest au moment voulu, je suis certain de m'enlever avec une grande rapidite.

  —Cela est evident.

  —Oui, mais il y a un inconvenient; c'est que, pour descendre plus tard, je devrai perdre une quantite de gaz proportionnelle au surcroet de lest que j'aurai jete. Or, ce gaz est chose precieuse; mais on ne peut en regretter la perte, quand il s'agit du salut d'un homme.

  —Tu as raison, Samuel, nous devons tout sacrifier pour le sauver!

  —Agissons donc, et disposez ces sacs sur le bord de la nacelle, de facon a ce qu'ils puissent etre precipites d'un seul coup.

  —Mais cette obscurite?

  —Elle cache nos preparatifs, et ne se dissipera que lorsqu'ils seront termines Ayez soin de tenir toutes les armes a portee de notre main. Peut-etre faudra-t-il faire le coup de feu; or nous avons pour la carabine un coup, pour les deux fusils quatre, pour les deux revolvers douze, en tout dix-sept, qui peuvent etre tires en un quart de minute. Mais peut-etre n'aurons-nous pas besoin de recourir a tout ce fracas. Etes-vous prets?

  —Nous sommes prets, " repondit Joe.

  Les sacs etaient disposes, les armes etaient en etat.

  " Bien; fit le docteur. Ayez l'eil a tout. Joe sera charge de precipiter le lest, et Dick d'enlever le prisonnier; mais que rien ne se fasse avant mes ordres. Joe, va d'abord; detacher l'ancre, et remonte promptement dans la nacelle. "

  Joe se laissa glisser par le cable, et reparut au bout de quelques instants Le Victoria rendu libre flottait dans l'air, a peu pres immobile.

  Pendant ce temps, le docteur s'assura de la presence d'une suffisante quantite de gaz dans la caisse de melange pour alimenter au besoin le chalumeau sans qu'il fut necessaire de recourir pendant quelque temps a l'action de la pile de Bunzen; il enleva les deux fils conducteurs parfaitement isoles qui servaient a la decomposition de l'eau; puis, fouillant dans son sac de voyage, il en retira deux morceaux de charbon tailles en pointe, qu'il fixa a l'extremite de chaque fil.

  Ses deux amis le regardaient sans comprendre, mais ils se taisaient; lorsque le docteur eut termine son travail, il se tint debout au milieu de la nacelle; il prit de chaque main les deux charbons, et en rapprocha les deux pointes.

  Soudain, une intense et eblouissante lueur fut produite avec un insoutenable eclat entre les deux pointes de charbon; une gerbe immense de lumiere electrique brisait litteralement l'obscurite de la nuit.

  " Oh! fit Joe, mon maetre!

  —Pas un mot, " dit le docteur.

  CHAPITRE XXII

  La gerbe de lumiere.—Le missionnaire.—Enlevement dans un rayon de lumiere.—Le pretre lazariste.—Peu d'espoir.—Soins du docteur.—Une vie d'abnegation.—Passage d'un volcan.

  Fergusson projeta vers les divers points de l'espace son puissant rayon de lumiere et l'arreta sur un endroit ou des cris d'epouvante se firent entendre Ses deux compagnons y jeterent un regard avide.

  Le baobab au-dessus duquel se maintenait le Victoria presque immobile s'elevait au centre d'une clairiere; entre des champs de sesame et de cannes a sucre, on distinguait une cinquantaine de huttes basses et coniques autour desquelles fourmillait une tribu nombreuse

  A cent pieds au-dessous du ballon se dressait un poteau Au pied de ce poteau gisait une creature humaine, un jeune homme de trente ans au plus, avec de longs cheveux noirs, a demi nu, maigre, ensanglante, couvert de blessures, la tete inclinee sur la poitrine, comme le Christ en croix.

  Quelques cheveux plus ras sur le sommet du crane indiquaient encore la place d'une tonsure a demi effacee.

  " Un missionnaire! un pretre! s ecria Joe.

  —Pauvre malheureux! repondit le chasseur.

  —Nous le sauverons, Dick! fit le docteur, nous le sauverons! "

  La foule des negres, en apercevant le ballon, semblable a une comete enorme avec une queue de lumiere eclatante, fut prise d'une epouvante facile a concevoir. A ses cris, le prisonnier releva la tete. Ses yeux brillerent d'un rapide espoir, et sans trop comprendre ce qui se passait, il tendit ses mains vers ces sauveurs inesperes.

  " Il vit! il vit! s'ecria Fergusson; Dieu soit loue! Ces sauvages sont plonges dans un magnifique effroi! Nous le sauverons! Vous etes prets, mes amis.

  —Nous sommes prets Samuel.

  —Joe, eteins le chalumeau. "

  L'ordre du docteur fut execute. Une brise a peine saisissable poussait doucement le Victoria au-dessus du prisonnier, en meme temps qu'il s'abaissait insensiblement avec la contraction du gaz. Pendant dix minutes environ, il resta flottant au milieu des ondes lumineuses. Fergusson plongeait sur la foule son faisceau etincelant qui dessinait ca et la de rapides et vives plaques de lumiere. La tribu, sous l'empire d'une indescriptible crainte, disparut peu a peu dans ses huttes, et la solitude se fit autour du poteau. Le docteur avait donc eu raison de compter sur l'apparition fantastique du Victoria qui projetait des rayons de soleil dans cette intense obscurite.

  La nacelle s'approcha du sol. Cependant quelques negres, plus audacieux, comprenant que leur victime allait leur echapper, revinrent avec de grands cris. Kennedy prit son fusil, mais le docteur lui ordonna de ne point tirer.

  Le pretre, agenouille, n'ayant plus la force de se tenir debout, n'etait pas meme lie a ce poteau, car sa faiblesse rendait des liens inutiles. Au moment ou la nacelle arriva pres du sol, le chasseur, jetant son arme et saisissant le pretre a bras-le-corps, le deposa dans la nacelle, a l'instant meme ou Joe precipitait brusquement les deux cents livres de lest.

  Le docteur s'attendait a monter avec une rapidite extreme; mais, contrairement a ses previsions, le ballon, apres s'etre eleve de trois a quatre pieds au-dessus du sol, demeura immobile!

  " Qui nous retient? " s'ecria-t-il avec l'accent la terreur.

  Quelques sauvages accouraient en poussant, des cris feroces.

  " Oh! s'ecria Joe en se penchant au dehors. Un de ces maudits noirs s'est accroche au-dessous de la nacelle!

  —Dick! Dick! s'ecria le docteur, la caisse a eau! "

  Dick comprit la pensee de son ami, et soulevant une des caisses a eau qui pesait plus de cent livres, il la precipita par-dessus le bord.

  Le Victoria, subitement deleste, fit un bond de trois cents pieds dans les airs, au milieu de. rugissements de la tribu, a laquelle le prisonnier echappait dans un rayon d'une eblouissante lumiere.

  " Hurrah! " s'ecrierent les deux compagnons du docteur.

  Soudain le ballon fit un nouveau bond, qui le porta a plus de mille pieds d'elevation.

  " Qu'est-ce donc? demanda Kennedy qui faillit perdre l'equilibre.

  " Ce n'est rien! c'est ce gredin qui nous lache, " repondit tranquillement Samuel Fergusson.

  Et Joe, se penchant rapidement, put encore apercevoir le sauvage, les mains etendues, tournoyant dans l'espace, et bientot se brisant contre terre. Le docteur ecarta alors les deux fils electriques, et l'obscurite redevint profonde. Il etait une heure du matin.

  Le Francais evanoui ouvrit enfin les yeux.

  " Vous etes sauve, lui dit le docteur.

  —Sauve, repondit-il en anglais, avec un triste sourire, sauve d'une mort cruelle! Mes freres, je vous remercie; mais mes jours sont comptes, mes heures meme, et je n'ai plus beaucoup de temps a vivre! "

  Et le missionnaire, epuise, retomba dans son assoupissement.

  " Il se meurt, s'ecria Dick.

  —Non, non, repondit Fergusson en se penchant sur lui, mais il est bien faible; couchons-le sous la tente. "

  Ils etendirent doucement sur leurs couvertures ce pauvre corps amaigri, couvert de cicatrices et de blessures encore saignantes, ou le fer et le feu avaient laisse en vingt endroits leurs traces douloureuses. Le docteur fit, avec un mouchoir, un peu de charpie qu'il etendit sur les plaies apres les avoir lavees; ces
soins, il les donna adroitement avec l'habilete d'un medecin; puis, prenant un cordial dans sa pharmacie, il en versa quelques gouttes sur les levres du pretre.

  Celui-ci pressa faiblement ses levres compatissantes et eut a peine la force de dire: " Merci! merci! "

  Le docteur comprit qu'il fallait lui laisser un repos absolu; il ramena les rideaux de la tente, et revint prendre la direction du ballon.

  Celui-ci, en tenant compte du poids de son nouvel hote, avait ete deleste de pres de cent quatre-vingts livres; il se maintenait donc sans l'aide du chalumeau. Au premier rayon du jour, un courant le poussait doucement vers l'ouest-nord-ouest. Fergusson alla considerer pendant quelques instants le pretre assoupi.

  " Puissions-nous conserver ce compagnon que le ciel nous a envoye dit le chasseur. As-tu quelque espoir?

  —Oui, Dick, avec des soins, dans cet air si pur.

  —Comme cet homme a souffert! dit Joe avec emotion Savez-vous qu'il faisait la des choses plus hardies que nous, en venant seul au milieu de ces peuplades!

  —Cela n'est pas douteux, " repondit le chasseur.

  Pendant toute cette journee, le docteur ne voulut pas que le sommeil du malheureux fut interrompu; c'etait un long assoupissement, entrecoupe de quelques murmures de souffrance qui ne laissaient pas d'inquieter Fergusson.

  Vers le soir, le Victoria demeurait stationnaire au milieu de l'obscurite, et pendant cette nuit, tandis que Joe et Kennedy se relayaient aux cotes du malade, Fergusson veillait a la surete de tous.

  Le lendemain au matin, le Victoria avait a peine derive dans l'ouest La journee s'annoncait pure et magnifique. Le malade put appeler ses nouveaux amis d'une voix meilleure. On releva les rideaux de la tente, et il aspira avec bonheur l'air vif du matin.

  " Comment vous trouvez-vous? lui demanda Fergusson .

  —Mieux peut-etre, repondit-il. Mais vous, mes amis, je ne vous ai encore vus que dans un reve! A peine puis-je me rendre compte de ce qui s'est passe! Qui etes-vous, afin que vos noms ne soient pas oublies dans ma derniere priere?

  —Nous sommes des voyageurs anglais, repondit Samuel; nous avons tente de traverser l'Afrique en ballon, et, pendant notre passage, nous avons eu le bonheur de vous sauver.

  —La science a ses heros, dit le missionnaire

  —Mais la religion a ses martyrs, repondit l'Ecossais.

  —Vous etes missionnaire? demanda le docteur.

  —Je suis un pretre de la mission des Lazaristes. Le ciel vous a envoyes vers moi, le ciel en soit loue! Le sacrifice de ma vie etait fait! Mais vous venez d'Europe Parlez-moi de l'Europe, de la France! Je suis sans nouvelles depuis cinq ans?

  —Cinq ans, seul, parmi ces sauvages! s'ecria Kennedy.

  —Ce sont des ames a racheter, dit le jeune pretre, des freres ignorants et barbares, que la religion seule peut instruire et civiliser. "

  Samuel Fergusson, repondant au desir du missionnaire, l'entretint longuement de la France.

  Celui-ci l'ecoutait avidement et des larmes coulerent de ses yeux. Le pauvre jeune homme prenait tour a tour les mains de Kennedy et de Joe dans les siennes, brulantes de fievre; le docteur lui prepara quelques tasses de the qu'il but avec plaisir; il eut alors la force de se relever un peu et de sourire en se voyant emporte dans ce ciel si pur!

  " Vous etes de hardis voyageurs, dit-il, et vous reussirez dans votre audacieuse entreprise; vous reverrez vos parents, vos amis, votre patrie, vous!... "

  La faiblesse du jeune pretre devint si grande alors, qu'il fallut le coucher de nouveau. Une prostration de quelques heures le tint comme mort entre les mains de Fergusson. Celui-ci ne pouvait contenir son emotion; il sentait cette existence s'enfuir. Allaient-ils donc perdre si vite celui qu'ils avaient arrache au supplice? Il pansa de nouveau les plaies horribles du martyr et dut sacrifier la plus grande partie de sa provision d'eau pour rafraechir ses membres brulants. Il l'entoura des soins les plus tendres et les plus intelligents. Le malade renaissait peu a peu entre ses bras, et reprenait le sentiment, sinon la vie.

  Le docteur surprit son histoire entre ses paroles entrecoupees.

  " Parlez votre langue maternelle, lui avait-il dit; je la comprends, et cela vous fatiguera moins. "

  Le missionnaire etait un pauvre jeune du village d'Aradon, en Bretagne, en plein Morbihan; ses premiers instincts l'entraenerent vers la carriere ecclesiastique; a cette vie d'abnegation il voulut encore joindre la vie de danger, en entrant dans l'ordre des pretres de la Mission, dont saint Vincent de Paul fut le glorieux fondateur; a vingt ans, il quittait son pays pour les plages inhospitalieres de l'Afrique. Et de la peu a peu, franchissant les obstacles, bravant les privations, marchant et priant, il s'avanca jusqu'au sein des tribus qui habitent les affluents du Nil superieur; pendant deux ans, sa religion fut repoussee, son zele fut meconnu, ses charites furent malaises; il demeura prisonnier de l'une des plus cruelles peuplades du Nyambarra, en butte a mille mauvais traitements. Mais toujours il enseignait, il instruisait, il priait. Cette tribu dispersee et lui laisse pour mort apres un de ces combats si frequents de peuplade a peuplade, au lieu de retourner sur ses pas, il continua son pelerinage evangelique. Son temps le plus paisible fut celui ou on le prit pour un fou il s'etait familiarise avec les idiomes de ces contrees; il catechisait. Enfin, pendant deux longues annees encore, il parcourut ces regions barbares, pousse par cette force surhumaine qui vient de Dieu; depuis un an, il residait dans cette tribu des Nyam-Nyam, nommee Barafri, l'une des plus sauvages. Le chef etant mort il y a quelques jours, ce fut a lui qu'on attribua cette mort inattendue; on resolut de l'immoler; depuis quarante heures deja durait son supplice; ainsi que l'avait suppose le docteur, il devait mourir au soleil de midi. Quand il entendit le bruit des armes a feu, la nature l'emporta: " A moi! a moi! " s'ecria-t-il, et il crut avoir reve, lorsqu'une voix venue du ciel lui lanca des paroles de consolation.

  " Je ne regrette pas, ajouta-t-il, cette existence qui s'en va, ma vie est Dieu!

  —Esperez encore, lui repondit le docteur; nous sommes pres de vous; nous vous sauverons de la mort comme nous vous avons arrache au supplice.

  —Je n'en demande pas tant au ciel, repondit le pretre resigne! Beni soit Dieu de m'avoir donne avant de mourir cette joie de presser des mains amies, et d'entendre la langue de mon pays. "

  Le missionnaire s'affaiblit de nouveau. La journee se passa ainsi entre l'espoir et la crainte, Kennedy tres emu et Joe s'essuyant les yeux a l'ecart.

  Le Victoria faisait peu de chemin, et le vent semblait vouloir menager son precieux fardeau.

  Joe signala vers le soir une lueur immense dans l'ouest. Sous des latitudes plus elevees, on eut pu croire une vaste aurore boreale; le ciel paraissait en feu. Le docteur vint examiner attentivement ce phenomene.

  " Ce ne peut etre qu'un volcan en activite, dit-il.

  —Mais le vent nous porte au-dessus, repliqua Kennedy.

  —Eh bien! nous le franchirons a une hauteur rassurante. "

  Trois heures apres le Victoria se trouvait en pleines montagnes; sa position exacte etait par 24 degrees 15' de longitude et 4 degrees 42' de latitude; devant lui, un ciel embrase deversait des torrents de lave en fusion, et projetait des quartiers de roches a une grande elevation; il y avait des coulees de feu liquide qui retombaient en cascades eblouissantes. Magnifique et dangereux spectacle, car le vent, avec une fixite constante, portait le ballon vers cette atmosphere incendiee.

  Cet obstacle que l'on ne pouvait tourner, il fallut le franchir; le chalumeau fut developpe a toute flamme, et le Victoria parvint a six mille pieds, laissant entre le volcan et lui un espace de plus de trois cents toises.

  De son lit de douleur, le pretre mourant put contempler ce cratere en feu d'ou s'echappaient avec fracas mille gerbes eblouissantes.

  " Que c'est beau, dit-il, et que la puissance de Dieu est infinie jusque dans ses plus terribles manifestations! "

  Cet epanchement de laves en ignition revetait les flancs de la montagne d'un veritable tapis de flammes; l'hemisphere inferieur du ballon resplendissait dans la nuit; une chaleur torride montait jusqu'a la nace
lle, et le docteur Fergusson eut hate de fuir cette perilleuse situation.

  Vers dix heures du soir, la montagne n'etait plus qu'un point rouge a l'horizon, et le Victoria poursuivait tranquillement son voyage dans une zone moins elevee.

  CHAPITRE XXIII

  Colere de Joe.—La mort d'un juste.—La veillee du corps.—Aridite. —L'ensevelissement.—Les blocs de quartz.—Hallucination de Joe.—Un lest precieux.—Relevement des montagnes auriferes.—Commencement des desespoirs de Joe.

  Une nuit magnifique s'etendait sur la terre. Le pretre s'endormit dans une prostration paisible.

  " Il n'en reviendra pas, dit Joe! Pauvre jeune homme! trente ans a peine!

  —Il s'eteindra dans nos bras! dit le docteur avec desespoir. Sa respiration deja si faible s'affaiblit encore, et je ne puis rien pour le sauver!

  —Les infames gueux! s'ecriait Joe, que ces subites coleres prenaient de temps a autre. Et penser que ce digne pretre a trouve encore des paroles pour les plaindre, pour les excuser, pour leur pardonner!

  —Le ciel lui fait une nuit bien belle, Joe, sa derniere nuit peut-etre. Il souffrira peu desormais, et sa mort ne sera qu'un paisible sommeil. "

  Le mourant prononca quelques paroles entrecoupees; le docteur s'approcha; la respiration du malade devenait embarrassee; il demandait de l'air; les rideaux furent entierement retires, et il aspira avec delices les souffles legers de cette nuit transparente; les etoiles lui adressaient leur tremblante lumiere, et la lune l'enveloppait dans le blanc linceul de ses rayons.

  Mes amis, dit-il d'une voix affaiblie, Je m'en vais! Que le Dieu qui recompense vous conduise au port! qu'il vous paye pour moi ma dette de reconnaissance!

  —Esperez encore, lui repondit Kennedy. Ce n'est qu'un affaiblissement passager. Vous ne mourrez pas! Peut-on mourir par cette belle nuit d'ete.

  —La mort est la, reprit le missionnaire, je le sais! Laissez-moi la regarder en face! La mort, commencement des choses eternelles, n'est que la fin des soucis terrestres. Mettez-moi a genoux, mes freres, je vous en prie! "