Le Chateau des Carpathes Page 2
Et le berger entendait par là une sorte de vieux pistolet à canon évasé.
« Non, dit le juif, c'est une lunette. »
C'était une de ces lunettes communes, qui grossissent cinq à six fois les objets, ou les rapprochent d'autant, ce qui produit le même résultat.
Frik avait détaché l'instrument, il le regardait, il le maniait, il le retournait bout pour bout, il en faisait glisser l'un sur l'autre les cylindres.
Puis, hochant la tête « Une lunette ? dit-il.
— Oui, pasteur, une fameuse encore, et qui vous allonge joliment la vue.
— Oh ! j'ai de bons yeux, l'ami. Quand le temps est clair, j'aperçois les dernières roches jusqu'à la tête du Retyezat, et les derniers arbres au fond des défilés du Vulkan.
— Sans cligner ?...
— Sans cligner. C'est la rosée qui me vaut ça, lorsque je dors du soir au matin à la belle étoile. Voilà qui vous nettoie proprement la prunelle.
— Quoi... la rosée ? répondit le colporteur. Elle rendrait plutôt aveugle...
— Pas les bergers.
— Soit ! Mais si vous avez de bons yeux, les miens sont encore meilleurs, lorsque je les mets au bout de ma lunette.
— Ce serait à voir.
— Voyez en y mettant les vôtres...
— Moi ?...
— Essayez.
— Ça ne me coûtera rien ? demanda Frik, très méfiant de sa nature.
— Rien... à moins que vous ne vous décidiez à m'acheter la mécanique. »
Bien rassuré à cet égard, Frik prit la lunette, dont les tubes furent ajustés par le colporteur. Puis, ayant fermé l'oeil gauche, il appliqua l'oculaire à son oeil droit.
Tout d'abord, il regarda dans la direction du col de Vulkan, en remontant vers le Plesa. Cela fait, il abaissa l'instrument, et le braqua vers le village de Werst.
« Eh ! eh ! dit-il, c'est pourtant vrai... Ça porte plus loin que mes yeux... Voilà la grande rue... je reconnais les gens... Tiens, Nic Deck, le forestier, qui revient de sa tournée, le havresac au dos, le fusil sur l'épaule...
— Quand je vous le disais ! fit observer le colporteur. — Oui... oui... c'est bien Nic ! reprit le berger. Et que. Ile est la fille qui sort de la maison de maître Koltz, en jupe rouge et en corsage noir, comme pour aller au-devant de lui ?...
— Regardez, pasteur, vous reconnaîtrez la fille aussi bien que le garçon...
— Eh ! oui !... c'est Miriota... la belle Miriota !... Ah ! les amoureux... les amoureux !... Cette fois, ils n'ont qu'à se tenir, car, moi, je les tiens au bout de mon tuyau, et je ne perds pas une de leurs mignasses ! — Que dites-vous de ma machine ?
— Eh ! eh !... qu'elle fait voir au loin ! »
Pour que Frik en fût à n'avoir jamais auparavant regardé à travers une lunette, il fallait que le village de Werst méritât d'être rangé parmi les plus arriérés du comitat de Klausenburg. Et cela était, on le verra bientôt.
« Allons, pasteur, reprit le forain, visez encore... et plus loin que Werst... Le village est trop près de nous Visez au-delà, bien au-delà, vous dis-je !...
— Et ça ne me coûtera pas davantage ?...
— Pas davantage.
— Bon !... je cherche du côté de la Sil hongroise ! Oui... voilà le clocher de Livadzel... je le reconnais à sa croix qui est manchotte d'un bras... Et, au-delà, dans la vallée, entre les sapins, j'aperçois le clocher de Petroseny, avec son coq de fer-blanc, dont le bec est ouvert, comme s'il allait appeler ses poulettes !... Et là-bas, cette tour qui pointe au milieu des arbres... Ce doit être la tour de Petrilla... Mais, j'y pense, colporteur, attendez donc, puisque c'est toujours le même prix...
— Toujours, pasteur. »
Frik venait de se tourner vers le plateau d'Orgall ; puis, du bout de la lunette, il suivait le rideau des forêts assombries sur les pentes du Plesa, et le champ de l'objectif encadra la lointaine silhouette du burg.
« Oui ! s'écria-t-il, la quatrième branche est à terre... J'avais bien vu !... Et personne n'ira la ramasser pour en faire une belle flambaison de la Saint-Jean... Non, personne... pas même moi !... Ce serait risquer son corps et son âme... Mais ne vous mettez point en peine !... Il y a quelqu'un qui saura bien la fourrer, cette nuit, au milieu de son feu d'enfer... C'est le Chort ! »
Le Chort, ainsi s'appelle le diable, quand il est évoqué dans les conversations du pays.
Peut-être le juif allait-il demander l'explication de ces paroles incompréhensibles pour qui n'était pas du village de Werst ou des environs, lorsque Frik s'écria, d'une voix où l'effroi se mêlait à la surprise :
« Qu'est-ce donc, cette brume qui s'échappe du donjon ?... Est-ce une brume ?... Non !... On dirait une fumée... Ce n'est pas possible !... Depuis des années et des années, les cheminées du burg ne fument plus ! — Si vous voyez de la fumée là-bas, pasteur, c'est qu'il y a de la fumée.
— Non... colporteur, non ! C'est le verre de votre machine qui se brouille.
— Essuyez-le.
— Et quand je l'essuierais ? »
Frik retourna sa lunette, et, après en avoir frotté les verres avec sa manche, il la remit à son oeil.
C'était bien une fumée qui se déroulait à la pointe du donjon. Elle montait droit' dans l'air calme, et son panache se confondait avec les hautes vapeurs.
Frik, immobile, ne parlait plus. Toute son attention se concentrait sur le burg que l'ombre ascendante commençait à gagner au niveau du plateau d'Orgall.
Soudain, il rabaissa la lunette, et, portant la main au bissac qui pendait sous son sayon :
« Combien votre tuyau ? demanda-t-il.
— Un florin et demi [Environ 3 francs 60.] », répondit le colporteur.
Et il aurait cédé sa lunette même au prix d'un florin, pour peu que Frik eut manifesté l'intention de la marchander. Mais le berger ne broncha pas. Visiblement sous l'empire d'une stupéfaction aussi brusque qu'inexplicable, il plongea la main au fond de son bissac, et en retira l'argent.
« C'est pour votre compte que vous achetez cette lunette ? demanda le colporteur.
— Non... pour mon maître, le juge Koltz.
— Alors il vous remboursera...
— Oui... les deux florins qu'elle me coûte...
— Comment... les deux florins ?...
— Eh ! sans doute !... Là-dessus, bonsoir, l'ami.
— Bonsoir, pasteur. »
Et Frik, sifflant ses chiens, poussant son troupeau, remonta rapidement dans la direction de Werst.
Le juif, le regardant s'en aller, hocha la tête, comme s'il avait eu à faire à quelque fou :
Si j'avais su, murmura-t-il, je la lui aurais vendue plus cher, ma lunette ! »
Puis, quand il eut rajusté son étalage à sa ceinture et sur ses épaules, il prit la direction de Karlsburg, en redescendant la rive droite de la Sil.
Où allait-il ? Peu importe. Il ne fait que passer dans ce récit. On ne le reverra plus.
II
Qu'il s'agisse de roches entassées par la nature aux époques géologiques, après les dernières convulsions du sol, ou de constructions dues à la main de l'homme, sur lesquelles a passé le souffle du temps, l'aspect est à peu près semblable, lorsqu'on les observe à quelques milles de distance. Ce qui est pierre brute et ce qui a été pierre travaillée, tout cela se confond aisément. De loin, même couleur, mêmes linéaments, mêmes déviations des lignes dans la perspective, même uniformité de teinte sous la patine grisâtre des siècles.
Il en était ainsi du burg, — autrement dit du château des Carpathes. En reconnaître les formes indécises sur ce plateau d'Orgall, qu'il couronne à la gauche du col de Vulkan, n'eût pas été possible. Il ne se détache point en relief de l'arrière-plan des montagnes. Ce que l'on est tenté de prendre pour un donjon n'est peut-être qu'un morne pierreux. Qui le regarde croit apercevoir les créneaux d'une courtine, où il n'y a peut-être qu'une crête rocheuse. Cet ensemble est vague, flottant, incertain. Aussi, à en croire divers touristes, le château des Carpathes n'exi
ste-t-il que dans l'imagination des gens du comitat.
Évidemment, le moyen le plus simple de s'en assurer serait de faire prix avec un guide de Vulkan ou de Werst, de remonter le défilé, de gravir la croupe, de visiter l'ensemble de ces constructions. Seulement, un guide, c'est encore moins commode à trouver que le chemin qui mène au burg. En ce pays des deux Sils, personne ne consentirait à conduire Lui voyageur, et pour n'importe quelle rémunération, au château des Carpathes.
Quoi qu'il en soit, voici ce qu'on aurait pu apercevoir de cette antique demeure dans le champ d'une lunette, plus puissante et mieux centrée que l'instrument de pacotille, acheté par le berger Frik pour le compte de maître Koltz :
A huit ou neuf cents pieds en arrière du col de Vulkan, une enceinte, couleur de grès, lambrissée d'un fouillis de plantes lapidaires, et qui s'arrondit sur une périphérie de quatre à cinq cents toises, en épousant les dénivellations du plateau ; à chaque extrémité, deux bastions d'angle, dont celui de droite, sur lequel poussait le fameux hêtre, est encore surmonté d'une maigre échauguette ou guérite à toit pointu ; à gauche, quelques pans de murs étayés de contreforts ajourés, supportant le campanile d'une chapelle, dont la cloche fêlée se met en branle par les fortes bourrasques au grand effroi des gens de la contrée ; au milieu, enfin, couronné de sa plate-forme à créneaux, un lourd donjon, à trois rangs de fenêtres maillées de plomb, et dont le premier étage est entouré d'une terrasse circulaire ; sur la plate-forme, une longue tige métallique, agrémentée du virolet féodal, sorte de girouette soudée par la rouille, et qu'un dernier coup de galerne avait fixée au sud-est.
Quant à ce que renfermait cette enceinte, rompue en maint endroit, s'il existait quelque bâtiment habitable à l'intérieur, si un pont-levis et une poterne permettaient d'y pénétrer, on l'ignorait depuis nombre d'années. En réalité, bien que le château des Carpathes fût mieux conservé qu'il n'en avait l'air, une contagieuse épouvante, doublée de superstition, le protégeait non moins que l'avaient pu faire autrefois ses basilics, ses sautereaux, ses bombardes, ses couleuvrines, ses tonnoires et autres engins d'artillerie des vieux siècles.
Et pourtant, le château des Carpathes eût valu la peine d'être visité par les touristes et les antiquaires. Sa situation, à la crête du plateau d'Orgall, est exceptionnellement belle. De la plate-forme supérieure du donjon, la vue s'étend jusqu'à l'extrême limite des montagnes. En arrière ondule la haute chaîne, si capricieusement ramifiée, qui marque la frontière de la Valachie. En avant se creuse le sinueux défilé de Vulkan, seule route praticable entre les provinces limitrophes. Au-delà de la vallée des deux Sils, surgissent les bourgs de Livadzel, de Lonyai, de Petroseny, de Petrilla, groupés à l'orifice des puits qui servent à l'exploitation de ce riche bassin houiller. Puis, aux derniers plans, c'est un admirable chevauchement de croupes, boisées à leur base, verdoyantes à leurs flancs, arides à leurs cimes, que dominent les sommets abrupts du Retyezat et du Paring [Le Retyezat s'élève à une hauteur de 2 496 mètres, et le Paring àune hauteur de 2 414 mètres au-dessus du niveau de la mer.]. Enfin, plus loin que la vallée du Hatszeg et le cours du Maros, apparaissent les lointains profils, noyés de brumes, des Alpes de la Transylvanie centrale.
Au fond de cet entonnoir, la dépression du sol formait autrefois un lac, dans lequel s'absorbaient les deux Sils, avant d'avoir trouvé passage à travers la chaîne. Maintenant, cette dépression n'est plus qu'un charbonnage avec ses inconvénients et ses avantages ; les hautes cheminées de brique se mêlent aux ramures des peupliers, des sapins et des hêtres ; les fumées noirâtres vicient l'air, saturé, jadis du parfum des arbres fruitiers et des fleurs. Toutefois, à l'époque où se passe cette histoire, bien que l'industrie tienne ce district minier sous sa main de fer, il n'a rien perdu du caractère sauvage qu'il doit à la nature.
Le château des Carpathes date du XIIe ou du XIIIe siècle. En ce temps-là, sous la domination des chefs ou voïvodes, monastères, églises, palais, châteaux, se fortifiaient avec autant de soin que les bourgades ou les villages. Seigneurs et paysans avaient à se garantir contre des agressions de toutes sortes. Cet état de choses explique pourquoi l'antique courtine du burg, ses bastions et son donjon lui donnent l'aspect d'une construction féodale, prête à la défensive. Quel architecte l'a édifié sur ce plateau, à cette hauteur ? On l'ignore, et cet audacieux artiste est inconnu, à moins que ce soit le roumain Manoli, si glorieusement chanté dans les légendes valaques, et qui bâtit à Curté d'Argis le célèbre château de Rodolphe le Noir.
Qu'il y ait des doutes sur l'architecte, il n'y en a aucun sur la famille qui possédait ce burg. Les barons de Gortz étaient seigneurs du pays depuis un temps immémorial. Ils furent mêlés à toutes ces guerres qui ensanglantèrent les provinces transylvaines ; ils luttèrent contre les Hongrois, les Saxons, les Szeklers ; leur nom figure dans les « cantices », les — « doïnes », où se perpétue le souvenir de ces désastreuses périodes ; ils avaient pour devise le fameux proverbe valaque : Da pe maorte, « donne jusqu'à la mort ! » et ils donnèrent, ils répandirent leur sang pour la cause de l'indépendance, — ce sang qui leur venait des Roumains, leurs ancêtres.
On le sait, tant d'efforts, de dévouement, de sacrifices, n'ont abouti qu'à réduire à la plus indigne oppression les descendants de cette vaillante race. Elle n'a plus d'existence politique. Trois talons l'ont écrasée. Mais ils ne désespèrent pas de secouer le joug, ces Valaques de la Transylvanie. L'avenir leur appartient, et c'est avec une confiance inébranlable qu'ils répètent ces mots, dans lequel se concentrent toutes leurs aspirations : Rôman on péré ! « le Roumain ne saurait périr ! » Vers le milieu du XIXe siècle, le dernier représentant des seigneurs de Gortz était le baron Rodolphe. Né au château des Carpathes, il avait vu sa famille s'éteindre autour de lui pendant les premiers temps de sa jeunesse. A vingt-deux ans, il se trouva seul au monde. Tous les siens étaient tombés d'année en année, comme ces branches du hêtre séculaire, auquel la superstition populaire rattachait l'existence même du burg. Sans parents, on peut même dire sans amis, que ferait le baron Rodolphe pour occuper les loisirs de cette monotone solitude que la mort avait faite autour de lui ? Quels étaient ses goûts, ses instincts, ses aptitudes ? On ne lui en reconnaissait guère, si ce n'est une irrésistible passion pour la musique, surtout pour le chant des grands artistes de cette époque. Dès lors, abandonnant le château, déjà fort délabré, aux soins de quelques vieux serviteurs, un jour il disparut. Et, ce qu'on apprit plus tard, c'est qu'il consacrait sa fortune, qui était assez considérable, à parcourir les principaux centres lyriques de l'Europe, les théâtres de l'Allemagne, de la France, de l'Italie, où il pouvait satisfaire à ses insatiables fantaisies de dilettante. Était-ce un excentrique, pour ne pas dire un maniaque ? La bizarrerie de son existence donnait lieu de le croire.
Cependant, le souvenir du pays était resté profondément gravé dans le coeur du jeune baron de Gortz. Il n'avait pas oublié la patrie transylvaine au cours de ses lointaines pérégrinations. Aussi, revint-il prendre part à l'une des sanglantes révoltes des paysans roumains contre l'oppression hongroise.
Les descendants des anciens Daces furent vaincus, et leur territoire échut en partage aux vainqueurs.
C'est à la suite de cette défaite que le baron Rodolphe quitta définitivement le château des Carpathes, dont certaines parties tombaient déjà en ruine. La mort ne tarda pas à priver le burg de ses derniers serviteurs, et il fut totalement délaissé. Quant au baron de Gortz, le bruit courut qu'il s'était patriotiquement joint au fameux Rosza Sandor, un ancien détrousseur de grande route, dont la guerre de l'indépendance avait fait un héros de drame. Par bonheur pour lui, après l'issue de la lutte, Rodolphe de Gortz s'était séparé de la bande du compromettant « betyar », et il fit sagement, car l'ancien brigand, redevenu chef de voleurs, finit par tomber entre les mains de la police, qui se contenta de l'enfermer dans la prison de Szamos-Uyvar.
Néanmoins, une version fut généralement admise chez les gens du comitat : à savoir que le
baron Rodolphe avait été tué pendant une rencontre de Rosza Sandor avec les douaniers de la frontière. Il n'en était rien, bien que le baron de Gortz ne se fût jamais remontré au burg depuis cette époque, et que sa mort ne fit doute pour personne. Mais il est prudent de n'accepter que sous réserve les on-dit de cette crédule population.
Château abandonné, château hanté, château visionné. Les vives et ardentes imaginations l'ont bientôt peuplé de fantômes, les revenants y apparaissent, les esprits y reviennent aux heures de la nuit. Ainsi se passent encore les choses au milieu de certaines contrées superstitieuses de l'Europe, et la Transylvanie peut prétendre au premier rang parmi elles.
Du reste, comment ce village de Werst eût-il pu rompre avec les croyances au surnaturel ? Le pope et le magister, celui-ci chargé de l'éducation des enfants, celui-là dirigeant la religion des fidèles, enseignaient ces fables d'autant plus franchement qu'ils y croyaient bel et bien. Ils affirmaient, « avec preuves à l'appui », que les loups-garous courent la campagne, que les vampires, appelés stryges, parce qu'ils poussent des cris de strygies, s'abreuvent de sang humain, que les « staffii » errent à travers les ruines et deviennent malfaisants, si on oublie de leur porter chaque soir le boire et le manger. Il y a des fées, des « babes », qu'il faut se garder de rencontrer le mardi ou le vendredi, les deux plus mauvais jours de la semaine. Aventurez-vous donc dans les profondeurs de ces forêts du comitat, forêts enchantées, où se cachent les « balauri », ces dragons gigantesques, dont les mâchoires se distendent jusqu'aux nuages, les « zmei » aux ailes démesurées, qui enlèvent les filles de sang royal et même celles de moindre lignée, lorsqu'elles sont jolies ! Voilà nombre de monstres redoutables, semble-t-il, et quel est le bon génie que leur oppose l'imagination populaire ? Nul autre que le « serpi de casa », le serpent du foyer domestique, qui vit familièrement au fond de l'âtre, et dont le paysan achète l'influence salutaire en le nourrissant de son meilleur lait.
Or, si jamais burg fut aménagé pour servir de refuge aux hôtes de cette mythologie roumaine, n'est-ce pas le château des Carpathes ? Sur ce plateau isolé, qui est inaccessible, excepté par la gauche du col de Vulkan, il n'était pas douteux qu'il abritât des dragons, des fées, des stryges, peut-être aussi quelques revenants de la famille des barons de Gortz. De là une réputation de mauvais aloi, très justifiée, disait-on. Quant à se hasarder à le visiter, personne n'y eût songé. Il répandait autour de lui une épouvante épidémique, comme un marais insalubre répand des miasmes pestilentiels. Rien qu'à s'en rapprocher d'un quart de mille, c'eût été risquer sa vie en ce monde et son salut dans l'autre. Cela s'apprenait couramment à l'école du magister Hermod.